L'EMPIRE FRANcAIS
[D'un correspondant parisien] ON inaugure chaque jour un nouveau pavilion a " Expo. 37 " —le titre officiel est vraitr.ent trop long de cette exposition
qui a fait coulcr tant d'encre. Le groupe des colonies fran- caises, bordant la Seine, attire tout particulierement l'attention. C'est qu'en cinquante ans nous avons fait des progres, tant en geographic qu'en science coloniale. A 1'Exposition de 1889_ on trouvait natural d'appeler " Rue du Caire " une collection d'attractions soi-disant exotiques—artisans noirs, orchestres,
nasillards, danses oricntalcs, avec lakoum et cacahuetes. Aujourd'hui on s'esclafferait. Le moindre ecolier comprend les abreviations A.O.F. et A.E.F. ; l'homme de la rue ne confond plus pagode avec minaret. L'Exposition coloniale de 1931, si magnifiquement realisee par Lyautey l'Africainr fut une lecon de choses durable. Elle servit a concretise, l'idee d'empire . . . republicain.
Car si l'Empire francais est surtout l'oeuvre de la troisieme Republique, celle-ci pendant longtemps en cut quelque embarras. Elle paraissait honteuse de sa progeniture, telle une poule qui a couve des oeufs de cane. C'est que le terme " empire " fut lent a perdre son sens pejoratif. Aujourd'hui encore, certains ne peuvent le separer des aventures napoleon- iennes qui finissent dans la defaite et ]'invasion. Par " empire " ils comprennent restrictivement un regime politique apparente au despotisme. D'autres, que ne hantent plus les souvenirs historiques, evitent tout de meme le mot et parlent de " la France d'outre-mer."
En verite, ce n'est que recemment que nous avons compris la portee exacte de l'idee imperiale. La guerre en avait trop souligne le cote militaire ; it y cut tendance ensuite a en
exagerer le cote econornique. Sans les meconnaitre, on ne les oppose plus maintenant au cote educateur et civilisateur,
au cote humain. En bonne logique cette conception devrait conduire a la suppression de la tutelle bureaucratique. Peu apres l'arrivee au pouvoir du cabinet Blum, le ministre des colonies s'enquerit des aspirations des peuples gouvernes par la France. En fin d'enquetc it apprendra evidemment qu'ils aspirent tous a l'autonoinie. Mais comme, en meme temps, il aura mesure la distance qui separe l'ideal de la realite, it repondra sans doute qu'il ne pourrait etre question avant longtemps d'instaurer des dominions du modele britan- nique. Car partout dans l'Empire francais le nombre des indigenes depasse de beaucoup celui des colons.
Quiconque etudie l'oeuvre de nos coloniaux modernes reste frappe d'une chose : la tutelle bureaucratique pese plus lourdement sur les administrateurs que sur les administres.
Ceux qui ont reussi out su agir sans ordres, meme a l'encontre des ordres, afin de mettre les bureaux devant le fait accompli.
L'entreprise terminee, ils en devoilaient toute l'etendue et en revendiquaient l'entiere responsabilite. C'est ainsi que Paul Cambon, grand administrateur qui devint grand am- bassadeur, fut le veritable artisan du protectorat tunisien Gallieni a Madagascar, Lyautey au Maroc, n'agirent pas autrement. L'Empire fr2.n9ais s'est diveloppe. parfois avec l'appui de la Metropole, plus souvent makre elle.
Il ne faut pas trop s'en etonner. Pendant bien des annees apres 1870 les gouvernements eurent assez de graves problemes en France sans en chercher aux colonies. II fallait panser les
blessures de la guerre, elaborer uric nouvelle constitution et ensuite l'appliquer, reorganiser l'armee et redonner au pays
sa place parmi les puissances. II est assez piquant de rappeler qu'a cette époque c'etait l'Allemagne, en la personne de Bismarck, qui poussait les Francais a coloniser. Mais les
Francais craignaient un piege. Farce qu'il avait une politique coloniale, Jules Ferry devint l'homme lc plus irnpopulaire de France ; c'etait avec mepris qu'on l'appelait " le Tonkinois." On comprend que, dans ces conditions, les bureaux n'encour- ageaient guere l'initiative des Brazza, des Gentil, des Binger et autres pionniers. Le merite de ceux-ci n'en est que plus grand.
Maintenant tout cela change. Parler d'empire ne prete plus a confusion. L'idee imperiale repond bien aux aspir- ations d'une jeunesse ardente qui voit Ia force dans l'action et non dans la parole. La France d'outre-mer compte soixante millions d'habitants. Les incorporer dans la vie nationale represente uric magnifique tache morale et sociale. Quand elle l'aura menee a bien, elle aura donne vie a la formule de l'Assemblee constituente, qui declarait en 1790: " Les colonies sont une partie de l'Empire francais."
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