6 MAY 1938, Page 16

ENFANTS DU SIÈCLE

[D'un correspondant parisien] Las Parisiens vierment d'etre convies a examiner les meilleurs dessins d'un concours pour enfants de moins de quinze ans. On leur avait donne pour theme : " Ce que je vois de ma fenetre." Cinq cents concurrents, tant files que garcons, avaient ete juges clignes d'affronter une exposition publique. L'idee emit bonne ; l'execution fut excellente. Mais il est evident que c'est l'inspiration qui importait le plus. Sans doute, parmi ces enfants certains deviendront artistes de talent. Si, en ce qui les conceme, l'exposition aura aide a leur developpement, elle aura contribue surtout a reveler Fame enfantine en general.

La vile, naturellement, avait fourni plus de concurrents que la campagne. Le paysan ne regarde guere par in fenetre ; il la murait naguere plunk que de payer un imp8t stupide et antisocial qui frappait les ouvertures de sa demeure. En revanche, is fenetre sert d'observatoire au petit citadin. De la il contemple la vie . . . et is mort. Le visiteur restait etonne de voir que plusieurs enfants avaient choisi pour suject ce prelude de tout enterrement en France : l'exposition du cercueil sur le scull de la maison mortuaire, la porte encadree de draperies noires, les fleurs, les couronnes.

De prime abord d'aucuns trouvaient la un symptome maladif. Penetres de souvenirs litteraires, ils y percevaient volontiers un echo lointain de ce romantisme dont nous celebrons precisement le centenaire : Musset "enfant du siècle," l'incertitude terrestre, les lamentations, les desespoirs. Et ils echafaudaient des theses sur les inquietudes de l'adolescence. Ii faut se mefier des analogies trop faciles. Si l'enfant modeme dessine le mort sur ses treteaux, n'est-ce pas plunk parce que, dans les voies ecartees, c'est le seul spectacle qui reste ?

Nous l'avons déjà constate ici-meme l'acceleration con- stante du rytlune de la vie a transforme la rue. L'envahisse- ment des arteres principales par les bureaux a refoule les habitants vers les quartiers oil tout reste mornement quotidien. Les petits métiers ont disparu, avec (curs cris pittoresques. Plus de fontainier depuis que le proprietaire est astreint fournir l'eau ; plus de marchand de tonneaux maintenant que le vin se livre en bouteilles au fur et a mesure des besoins . . . et que les caves deviennent abris contre les bombarde- ments aeriens. D'autre part, plus de jeux dans in rue avec les loisirs organises et diriges, avec les "billets Guinand " (c'est le nom du president de la Societe nationale des Chemins de Fer, instauree par le Front populaire), qui incitent echapper de la ville chaque jour chOme, tant (curs prix sont modiques.

Done, de sa fenetre l'enfant de condition modeste en est reduit a une vue xmiforme ; scion l'etage, des toits et des cheminees ou bien les fenetres d'en-face, remplacees parfois par un mur lepreux. Hormis les affiches, rien que des tonalites ternes, du gris-fumee au gris-ardoise. Et si un Modigliani, un Utrillo saurait en tirer des chefs-d'oeuvre, ce n'est pas une raison pour conserver des rues miserables. La lutte contre le taudis (slum clearance) compte parmi les grands problemes du jour. Il n'avait pas encore ete attaque de facon methodique et il faut louer le cabinet Daladier de lui avow fait place dans son plan de redressement national, annonce cette semaine. Toute politique a part, c'est du veritable socialisme.

La Ville de Paris a montre ce qu'il est possible de faire. Elle a su profiter du demantelement des fortifications. Sur l'ancienne zone militaire, oi il etait interdit de batir de facon pertnanente, le taudis s'etait installe dans toute sa hideur. Les architectes des immeubles qui le remplacent ont recherché surtout l'air et la lumiere. Plus de sordides cours interieures, mais des pelouses et des jardinets. Et des fenetres, beaucoup de fenetres.

Certes, il faudra longtemps, et bien de l'argent pour trans- former les quartiers du centre. Mais l'elan est donne, et c'est cela qui importe. Les organisateurs du concours seraient bien inspires de conserver les dessins qu'ils viennent d'exposer. D'instinct l'enfant se porte vers les couleurs vives ; c'est le milieu qui genere les peintres du " paysage parisien," olt domin- ent le platre, le moellon et le pave. Ii sera interessant de comparer les croquis d'aujourd'hui avec ceux que feront nos petits-fils lorsqu'a leur tour ils seront appeles a depeindre "cc que je vois de ma fenetre."