7 OCTOBER 1938, Page 23

APRES L'ATTENTE

[D'un correspondant parisien] L'article qui suit fut &Tit au moment oil tout espoir sembluit perdu. Quolgue &passe par les ivenements, it peut conserver la valeur d'un document, puisqu'il depeint des heures qui marqueront un tournanr de l'histoire.

DE quoi ecrire sinon du drame que nous vivons ? Aujourd'hui encore ce n'est qu'une menace. Mais demain ? Il faut hater l'envoi de cet article. Autrement it pourrait bien de ne pas arriver a destination. Et s'il y arrive, que sera-t-il advenu dans l'intervalle ?

Le drame se multiplie a l'infirti—autant de drames que d'individus. C'est surtout le sentiment d'impuissance qui oppresse. Toi, moi, nous tous, nous voulons la paix. Nous demons ce vouloir, nous le hurlons. Pourtant la guerre arrive pas a pas et nous n'y pouvons rien. II ne reste plus qu'a !'accepter sans meme savoir pourquoi. Pour beaucoup c'est la resignation du desespoir. Quand la resignation est consentie, eUe n'en devient que plus amere.

Pas de cris ni de chants. La cite est calme, mais elle est morne aussi. On ne comprend guere. On attend. Et l'attente torture. Des mobilises passent, a moitie equipes ; la capote bleu-horizon ne parvient pas a rather le pantalon de vile. On les observe curieusement, pourtant avec envie. Pour eux l'attente est interrompue. Leur angoisse ne reprendra que s'il faut partir la-bas. Pour !'instant ils ne sont plus soucieux.

Le mieux est de s'occuper. Au bureau comme a l'atelicr, jamais la tithe routiniere n'a ete si absorbante. Elle permet d'oublier. On la quitte a regret, pour continuer d'attendre. Les journaux paraissent. Ils n'ont plus que six pages. C'est encore trop, car us ne savent rien. Personne ne sail. Les protagonistes eux-memes savent-ils ? Ils disent vouloir la paix ; partout autour d'eux on prepare la guerre. Ils attendent aussi, sans doute. Le monde ender attend.

La rentree des ecoles est retardee. L'eclairage des rues est reduit. Les trains ont des luunieres bleues. Les pompiers sont renforces. On assure que tout est prevu. On distribue du sable—" pour eteindre les incendies." Mais it n'est pas possible de se procurer un masque a gaz. On conseille de " decongestionner " les vines. Mais Oa eller ? Le danger sera-t-il moindre au midi qu'au nord, a l'ouest qu'a l'est ? Certains partent neanmoins. Ce ne sont pas pour cela les plus timores. Peak, c'est une facon d'echapper a l'attente- pour quelques heures.

Ceux qui ont connu la guerre, I'autre, celle qui devait etre la derniere, s'etonnent du nombre de ceux pour qui elle n'est qu'un mot. Du coup la notion du temps les deroute. Que diable ! quarante ans n'est-ce pas la force de l'age ? Radote-t-on déjà a cinquante ? Ils auraient voulu expliquer ce qu'est la guerre. Ils se taisent, de crainte de n'etre pas compris. Autour d'eux les jeunes s'emenreillent de voir le serrurier d'en face en tenue de lieutenant, le gros pharmacien coiffe d'un kepi. Un gamin sulk. On le regarde. Flatte, it debite son repertoire : la rengaine a la mode, les premieres mesures de l'Internationale, puis celles de la Marscillaise. Alors les anciens pleurent. Les mores aussi.

L'attente reprend. Un haut-parleur braille—des flots de jazz, une conference sur la musique de chambre. Evi iemment cc n'est pas encore la guerre. Les " informations " suivent. Il y est question de demarches, de messages, d'action diplo- matique. Alors ce n'est pas la paix non plus. Qu'est-ce ? C'est l'attente.

Les feuilles du soir ont encore plus de titres qt:e cel:es du matin. Des femmes preferent acheter un journal de mode. Elles en sauront autant. Dans les cafés des hommes s'inquie- tent avant tout du resultat des courses. Tout est hasard aujourd'hui. Puis c'est le retour au logis. Dans le Metro, dans l'autobus, it semble y avoir quelque chose d'anormal. Au bout de quelques instants on comprend : on peut s'asseoir maintenant que les reservistes sont partis. Au foyer du mobilise le repas est lugubre, tant la place vide seeable. On se couche tot, pour oublier.

On exhorte les fidiles a prier pour la paix. Dans les temples, beaucoup de femmes mais nombre d'hommes aussi. Le danger ranime la foil. Seigneur, donnex-nous la paix ! Seig- neur, faites surtout qu'apres les affres de cette attente nous n'oublions pas. •