13 AUGUST 1937, Page 16

VACANCES POPULAIRES

[D'un correspondant parisien] C'EST cette armee qu'on aurait dri pouvoir se rendre compte de la portee de la loi sur les conges payes. L'an dernier ils vinrent un peu a l'improviste. Les beneficiaires accueillirent avec satisfaction deux semaines de salaire qui leur tombaient du ciel, mais ils n'eurent pas le temps de modifier des plans déjà itablis, tant il est vrai que la moitie du plaisir des vacances c'est de les preparer. Cette fois, des le printemps venu, des milliers de families se mirent a consulter guides et horaires. Puis il fallut dechanter.

Le franc Poincare fut remplace par le franc Auriol, lequel a son tour devint le franc Bonnet. Il est aussi. difficile d'equilibrer le budget familial que celui de l'Etat. Le minis- tere Chautemps, il est vrai, a demande aux chemins de fer de prolonger jusqu'a la fin des vacances les avantages concedes aux porteurs de billets populaires. II s'efforce egalement de maintenir les prix au niveau auquel il les a trouves, exception faite toutefois pour certaines denrees capitales—la viande, le poisson, les legumes et les fruits. Or, ce n'est pas le voyage qui conte le plus en vacances, mais le logement et la nourriture. Il est reconnu officiellement que le cont de la vie a augmente de 20 pour cent de mai 1936 a fevrier 1937 ; il faut bien ajouter encore 20 pour cent depuis fevrier. Donc la famille a conge paye n'est guere plus avancee qu'avant le vote de Ia loi.

Nearnnoins, aussitot apres la Fête nationale 'la foule des travailleurs commencait de quitter les villes et tout indique qu'il y aura une nouvelle vague pour l'Assomption. Car, on peut le dire, parmi les innovations du cabinet Blum, le conge paye, quoique celebre sur le mode lyrique par l'ancien president du conseil lui-meme, fit bien moins d'impression sur les masses que Ia semaine de quarante heures, par exemple. Depuis une quinzaine d'annees, en effet, l'habitude de partir au loin pendartt les vacances s'etait repandue chez le petit peuple, particuliere- ment chez les employes. Dans d'assez nombreuses maisons, du reste, les conges etaient déjà payes. La loi en fait une regle generale a laquelle il faut applaudir. C'est rouvrier surtout qui en beneficie maintenant, puisqu'il peut s'absenter sans perte de salaire.

On ces travailleurs passent-ils leurs vacances ? La mer, naturellement, attire un grand nombre. Chaque annee voit nitre de nouvelles plages, destinees generalement aux bourses modestes, si bien que sur certains points du littoral elles forment un long ruban ininterrompu. Le reseau de l'Etat, dans sa publicite, se vante d'en desservir six cents a lui seal. Quand il n'y a pas de jeunes enfants et que les moyens soni mesures, la riviere reinplace la mer ; la peche a la ligne reste la grande passion de l'ouvrier francais. En ete la montagne moins d'attrait pour les travailleurs, malgre Ia popularite toujours croissante du ski en hiver. (On petit voir, en pleine canicule, des promeneurs qui ne veulent pas abandonner le pantalon norwegien et les chaussures cloutees !) Les voyages circulaires sont toujours suivis, mais la baisse du franc n'encourage pas a depasser les frontieres. Le tandem, la motocyclette n'ont rien perdu de leur vogue. Mais le rois du jour, surtout parmi la jeunesse, sont le canoe at le camping, souvent les deux conjugues.

Pour le tourisme nautique, les petites bourses preferent le kayak demontable ; on le voit maintenant sur tous les tours d'eau. Quoique d'adoption relativement recente, le camping, pour sa part, a déjà beaucoup evolue. D'individuel il devient collectif. C'est sans doute un signe des temps. Autre signe des temps : la politique s'en mele. II y des camps populaires on il faut montrer patte blanche sous forme de carte d'adhesion au parti organisateur. Si regrettable que puisse paraitre cette manie des etiquettes qui tend a diviser les Francais, le camping politique vaut toujours mieux que pas de camping du tout.

L'essentiel pour les vacances popularies c'est d'être au soleil et au grand air, loin de logements qui trop souvent ne sont que taudis. Dans le calme de la campagne les esprits s'apaisent ; le poing ferme s'ouvre en main tendue. Lamartine clisait " Oii manque l'espace manque la verite." Dieu fasse que nous profitions tous des conges payes !