23 APRIL 1927, Page 8

A Propos de la Mode Feminine

E couturier moderne n'est pas un personnage banal. Il doit etre a la fois un historien, un philosophe, un homme de goat et un psych ologue, s'il vent exercer une influence sur les femmes de son temps. Et nous savons le role preponderant qu'il joue dans notre vie moderne, A Paris et ailleurs. Il semble cependant qu'a Paris plus qu'ailleurs la mode et la couture jouissent d'un plus grand prestige. Ici, nous avons le culte des souvenirs et du passe. Nous puisons le plus pur de nos traditions dans nos richesses artistiques ; et notrc talent consiste a savoir moderniser le passe et tout cc qu'il nous a legue. Dans cette ambiance d'harmonie, les grands couturiers, princes de la frivolite, sont a nos yeux de grands artistes, createurs et novateurs qu'on ne peut confondre avec ceux qui copient la mode, la &torment et la vulgarisent. L'histoire de la mode est un eternel recommencement qui sait s'adapter aux circonstanees. Les strangers finissent toujours par aimer Paris. Paris les aime aussi ; ne sont-ils pas pour nous des amis precieux qui nous apportent les idees du dehors, nous familiarisent avee les c ivilisations exterieures et nous permettent d'avoir des idees plus ouvertes et une vision plus exacte de l'humanite ? Aussi Paris a pris peu peu un air cosmopolite, mais gardant une personnalite vivante et profonde dans le domaine des arts, des elegances feminines et des modes. Un fait capital ; c'est aujourd'hui le triomphe de la ligne, parce que la ligne, c'est la grace et la sveltesse, et parce que la ligne parait confondre les femmes jeunes et celles qui le sont morns. Et pour assurer le triomphe de la ligne, la femme a recours aux couturiers et aux electriciens. La science et l'ingeniosite humaine ont &convert le moyen d'attenuer, de corriger les laideurs. Les femmes laides n'ont plus d'excuse, celles qui vicillissent ont tort. Ne sait-on pas qu'il existe des substitute de beaute, oil la disgrace se corrige, oil le fardeau des ans devient leger. Belle idee ! n'est-ce pas, Mesdames, car dire A une femme qu'elle est belle, c'est devenir son esclave, mais lui pro- curer la beaute, c'est devenir son maitre. Le couturier sait tout cela. Il sait aussi que les jeunes femmes et leurs meres ont souvent la meme existence et qu'il faut a tout prix soigner le decor. Il doit parfois etre genial dans ses inventions et ses combinaisons pour permettre a une dame d'un age certain de danser, sans etre ridicule, avec un jeune homme. Nous ne sommes plus au temps oil les jeunes femmes portaient des robes de linon, et leurs meres des tissus somptueux. Le sport a eu une influence decisive dans le domaine de la mode. Et c'est pourquoi les femmes ont resolu de porter des jupes courtes et de couper leurs cheveux. Que ce soit notre goat ou non, nous devons accepter cette revolution, car nous devons marcher avec notre temps, sous peine d'etre des objets de vitrine et de perdre toute influence sur notre époque. Je suis done devenu un partisan des cheveux courts pour les femmes minces. Je ne le suis pas pour les femmes fortes, dont les cons larges et souffles sont plus afireux encore avec les cheveux courts.

Je ne crois pas au retour des cheveux longs ; mais je crois a l'avenement des perruques. Cela permettrait au femmes d'être sportives avec leurs cheveux courts, it matin, et detentes, le soir, avec des robes de bal ou de ceremonie. Qu'elles soient des petites femmes, des especes de garcons, le matin—parfait ! Mais qu'elles, soient des dames, le soir, capables de porter des robes de cour, d'apparat et des diademes. Les coiffeurs d'ailleurs n'ont rien invente ; Ia mine Marie-Antoinette, le lendemain de ses couches, avait coupe ses cheveux, et aussitot toutes les femmes firent de meme, et cela s'appelait se coiffer " a la Sacrifice," comme nous disions, y a deux ans, " la fievre, typhoide " ; mais elks eurent la sagesse, avec leurs chevens coupes, de faire confectionner des perruques. On ne saurait aujourd'hui toucher A la ligne de la femme, c'est sa grace et sa simplesse. C'est le triomphe du drape, du style antique. Les femmes veulent marcher, courir, faire du sport. Rien ne saurait les gener ; Ia nature reprend ses droits. On ne peut vier Pelegance de la simplicite moderne. On ne saurait imaginer une telle magic dans les " ensembles," toujours tres en faveur un meme manteau pouvant se porter alternativement avec cinq on six robes dont la couleur convient a telle circonstance ou a tel etat d'ame, du bleu porcelaine, du crepe de chine imprime, du saxe modernise avec un manteau droit de Kasha—c'est aussi un ensemble " smoking," mais feminise souhait, aux revers triangulaires, aux manches raglan, manteau drapant tour a tour une robe de foulard a pois, de marocain et satin, imprimee d'arabesques, soit encore du crepe de chine, avee de gros bouquets de fleurs. C'est le probleme realise : la beaute et la raison liees dans un mariage d'inclination (lore match). En promenade, aux courses, en voyage, les femme; portent du crepe de chine violette et gris, du crepe georgette paillete, aux dessins de coromandel, du jersey ou du chile formant cape brodee de fils roses, argent et or. L'opposition des coloris forme un ensemble seduisant, qui s'harmonise avec le ciel bleu, mauve ou gris, dans un decor de lambris ou de fleurs. Le miracle est d'assortir le chapeau a la toilette ; chapeau petit, simple, malicieux, telle une corolle sur use tige elancee—et vous etes, Mesdames, metamorphosees, avec tous les attribute de la beaute, coiffees, drapees, un petit sac de " Jouvence " a la main et une ornbrellei Second Empire portant a son pommeau une petite glade qui vous prouvera que vous etes belles et pretes a conquerir le monde et les hommes.

Tout s'enchaine ! La mode actuelle est justement fait pour les danses modernes. La robe est desormais une gaine qui ne permet plus de se balancer, de faire des reverences, de danser In paranel On n'imagine pas des femmes en crinoline dansant Charleston " ; ce strait un scandale ! On a aujourd'h compris qu'une attitude est aussi elegante qu'un mouve- ment, et que dans la danse, la ligne avait son importance. Et tandis que nous vivons dans les preoccupations constantes, dans l'incertitude du lendemain, l'elegance it feminine de Paris demeure souveraine !

Tout a coup, un bruit de motets'. ! c'est la realite presente ! la vie ! le mouvement ! le vertige !

Les joyeuses rues de Paris nous offrent un spectacle saisissant. Certaines femmes nous etonnent ! Ni voiture, ni bijoux, mais qu'importe ! A pied, marchant vite et sans ornements, elks donnent cependant l'impression (rare de veritables reines de l'elegance. Leur costume est d'une rigoureuse simplicite ; et pourtant un pli, un ruban, une fleur lui donnent une Arne particuliere.

Ces femmes du monde ou ces mannequins, au Bois de Boulogne, rue de la Paix, Avenue des Champs-Elysées, ne sont-elles pas l'exposition vivante de la-mode de Paris ? Elks sont hien l'embleme du commerce de luxe et de la frivolite.

C'est Paris qui passe dans un sourire, une plume, une dentelle, dans une ambiance d'insoueiance;- de tendresse