5 NOVEMBER 1937, Page 16

INSTRUCTION ET ORIENTATION

[D'un correspondant parisiend

Las problemes economiques et politiques demeurent si angois- sants qu'ils en eclipsent d'autres non moins importants, celui de l'instruction publique par exemple. Ce probleme se presente sous divers aspects, dont le surmenage scolaire est le plus familier. A en juger par une recente brochure de votre Board of Education il n'est pas uniquement francais. Chez nous, en lout cas, it faut deplorer l'exclusion de recolier de In semaine de quarante heures. Des huit heures du matin il est a r etude ; a dix heures .du soir, parfois plus tard,11 sommeille encore stir ses devoirs. C'est que les programmes sont etablis sans souci du temps qu'ils exigent, tandis

conviendrait d'abord de fixer les heures de travail et ensuire d'y adapter les programmes.

On y arrivera peut-etre, puisque le ministre de l' education nationale vient d'annoncer que rallegement des horaires fait partie de son plan d'orientation scolaire. L'allegement ne souleve pas de critiques. Il n'en est pas de meme de l'orienta- tion. Depuis qu'elle fut proposee elle n'a cesse d'etre attaquee —et defendue—avec passion. C'est qu'il s'agit d'une veritable revolution. S'il n'y avait pas rant de soucis d'ordre materiel, l'orientation scolaire eut pris premiere place dans nos discus- sions. Car l'avenir de tousles jeunes Francais est en jeu.

L'idee de l'orientation scolaire decoule de IA theorie de recole unique, preconisee par les partis de gauche, qui you- draient que tous les enfants fussent egaux devant le maitre d'ecole. En matiere d'enseignement, la grande oeuvre 4 la Troisieme Republique fut ce qu'on appela couramment l'instruction gratuite, laique et bbligatoire, definition inexacte puisqu'il ne s'agissait que de l'enseignement prixnaire. Pour parfaire cette oeuvre, qui date déjà d'un demi-siècle, un gouvernement radical, it y a quelques annees, etendit la gratuite a l'enseignement secondaire. L'enseignement sup erieur restait reserve pour une troisieme etape. Jusqu'a ce point les mesures n'etaient conditionnees que par des considerations budgetaires. Mais comme evidemment le but des novateurs n'etait pas de venir en aide aux families assez aisees pour mettre leurs enfants au lycee, il fallut etablir les modalites de la gratuite.

Voici la these des defenseurs de l'orientation : " Naguere il y avait un ministere de l'instruction publique ; maintenant il y a un ministere de l' education nationale. Ce changernent de titre repond a une conception nouvelle. Nous considerons que les futurs citoyens appartiennent a la nation. Done- il incombe a la nation de rechercher les intelligences afin d'eri former une elite capable de diriger ses affaires. Pour cela faut d'abord que l'instruction soit gratuite a tons les degrei, car il y a des intelligences dans routes les clasies de lcsociete.

Ensuite it faut une selection, egalement tous les degres, pour eviter l'encombrement des ecoles par les non-valeurs. Done il faudra justifier par un examen le passage du primaire au secondaire, apres quoi un nouvel examen chaque annee permettra de se rendre compte si &eve est apte a continuer ses etudes. Les inaptes seront orientes vers les ecoles techniques ou les métiers, par exemple." Et les defenseurs de l'orientation ne cachent pas que cela conduira logiquement au monopole de l'enseignement.

Les adversaires de rorientation repliquent : " Ce que vous appelez la nation c'est pratiquement le gouvernement. Aujourd'hui il est de gauche ; demain il peut etre de droite. Dans ces conditions il sera difficile d'exclure la politique de recole, car vos examinateurs seront necessairement des fonctionnaires dont l'avancement dependra de leur acceptation des directives du gouvernement du jour. Mais mane si vos examinateurs pouvaient etre impartiaux, comment voulez- vous qu'ils disent d'un enfant de dix ans qu'il sera ingenieur ou macon, ambassadeur ou ouvrier agricole ? II ne manque pas d'hommes celebres qui furent cancres au College. De plus, a moins d'en faire tous des fonctionnaires, pouirez-vous garantir un emploi aux eleves de votre choir ? N'iront-ils pas augmenter le nombre des avocats sans causes ou des medecins sans clientele ? On ne se nourrit pas de dipiontes. Et la famine, qu'en faites-vous ? "

Pour le moment le ministre cherche a concilier ces deux theses. II assure que ce n'est qu'a titre d'experience vient de creer les: premieres classes ,crorientation. convient done d'attendre les resultats avant de se prononcer.