3 JANUARY 1936, Page 19

Paul Bourget

[D'un correspondant parisien] LES LETritEs francaises sont en deuil. L'un des maitres les plus eminents de noire roman psychologique, Paul Bourget. vient de s'eteindre lentement, charge d'ans, de prestige et de gloirc, dans la plus belle et la plus symbolique nuit qui soit entre toutes les nttits, celle de Noel. Avec lui disparait. non point, tellement, un virtuose du style, qu'un critique des passions. C'est en qualite de moraliste qu'il s'etait impose a l'admiration des lettres et gull resisters, sans doute le plus vigoureusement, au travail destructeur du temps.

NC a Amiens en 1852, il eommenca ses etudes secondaires au lye& de Clermont-Ferrand, ville oh son perc assunmit les fonetions de reeteur de l'Universite. Son enfanee et son adolescence s'ecoulerent dans un mime studieux et presque austere. A Paris, oft ii &Mt venu parfaire son instruction, ii fut releve du college Ste Barite, puis du lye& Louts-le- Grand. C'est en 1870, aloes qu'il aehevait ses etudes, will recut brutalement le aloe de la revelation litteraire. En " bouquinant " chez un libraire de In rue Soufflot, son regard tombs par hasard sur Le Pere Goriot de Balzac. Cette lecture le bouleversa. II devait rester obsede par le &sir d'essayer ses forces intellectuelles, a rimitation dc l'auteur dc In Comedic Humaine.

Ses debuts furent des plus ingrats. Bourget n'avait pas de fortune. II se mit done a la besognc, chi-reliant a dormer des lecons ; eollaborant a de nombreuses feuilles, ht plupart sans diffusion ; ecrivant pour lui-mente, mix rares moments de ses pietres loisirs. II publia quelques vers, d'abord ; ntais il sentait bien que la n'etait pas sa vole. II y exprimait, en tine langue un peu flexible et :none, les angoisses d'une personnalite tourmentee par son partage entre le seepticistime d'une intelligence aigue et lc besoin affectif d'un eoeur tendre. Ce n'etait point la le domainc de In poesie, nods celui de ranalyse morale. Bourget, abandonnant les vcrs, se tourna resolument vcrs la critique. En 1883, il publiait, a In Nouvelle Revue. que dirigeait alors Mule Juliette Adam, ses Essais de psychologie contemporaine. Ces articles, oil, d'inte plume penetrante, il dissequait les secrets de l'influenee des maitres de rheum, revelerent au public In puissance et la subtilite d'un critique avec lequel II semblait que, desormais, il faudrait compter. 'rransposant, toutefois, les ressources de son talent dans une province plus souplc, l'ecrivain passait presque aussitiit all genre de la creation fictive. Andrif Cornelis ouvrit, en 1887, la seric des romans de Bourget, parmi lesquels Le Disciple, des 1889, precisait de facon typiquc les dons tres caracteristiques de son amateur. Elu, en 1894, a l'Acadernie Francaise, le romancier allait l'illustrer de son eclat personnel pendant plus de quarante ans. La Compagnie a fait, vendredi, au defunt, les obseques qu'il avait souliaitees : simples emouv- antes et sans appret. Nul discours ne fut, stir sit tombe, prononce. Paul Bourget cst entre dans reternite, discrete- ment, comme ii avait vecu.

Son oeuvre, discutee iiprement a ses debuts, parait destinee a &enter encore les controverses. La politique, se Intelsat de problemes oil elle if a, pourtant, que faire, a provoque des remous d'opinion qui se sont manifestes, parfois, sans mesure. Alors quc la pressc orient& a droite Nantuit le genie du disparu et son exaltation des vertus d'ordre, eertains journaux, dits de gauche, irrespectueux meme de In mort, le traitaient de vicillot et de mediocre ecrivain. De semblables exces sont affligeants et puerils. La verite, lei comme toujours, est dans une nuance ; et un jugement sur eette production fort vaste dolt, d'abord, pour garder quelque chance d'exactitude, eviter prudemment le peremptoire.

II apparait, en realite, que Paul Bourguct s'est semi de in methode naturaliste pour lutter contrc les themes du natural- isme. Dedaigneux des signalisations de temperaments, des descriptions d'" humeurs," comme cut (lit Ben Jonson, its'est attache a rexperience minuticuse d'une psychologie abstraitc, a roppose direct du mouvement dramatique. Ses romans trahissent, par ailleurs, he malaise d'une attirance tout ensemble Nrers les raffinements de l'estlietistite et vcrs la candeur de la foi ; Timis lc dilettantisme n'a ete, chez Paul Bourget, que lc printemps d'une pens& trop sage pour ne point murk dans le renoncement et mouth- dans he recucille-

ment de l'extase mystique. H. L. V.