3 JUNE 1938, Page 17

L'EXEMPLE DE LA CONCIERGE

[D'un correspondent parisienj

LA rehabilitation est a la ma.le. L'histo:ien moderne joue volontiers le role de terre-neuve ; it repeche la reputation d: personnages honnis au cours des siecles. Le tour de la concierge serait-il venu ? Enseignera-t-on a nos petits-fils qu'a um: époque oil l'Etat voulait tout regenter, cc fut clic qui rappels aux Francais !'existence de la Declaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ?

Un decret recent obligeait tout proprietairc d'accorder chaque armee a sa concierge un conge paye. Il s'en trouva uric pour Ic refuser. Par scrupule le proprietairc en refera au ministre competent. Celui-ci repondit : " II n'existe aucun moyen legal vous permettant de contraindre la concierge de votre immeuble a prendre un conge annuel paye en cas de refus de sa part." Les circonstances dc cct incident n'ont pa ; ete rendues publiques. Neanmoins Ic premier ma-avement eat de s'ecrier : Bravo pour la concierge ! Qucl que soil le motif de son refus, elle a demontre que l'individu conserve encore quelques droits.

Reflexion faite, it vaudrait mieux connaitre les raisons avant de se prononcer. Peut-etre ne seraient-elles pas edifiantes. Dans ce cas cette concierge viendrait a point pour illustrer certains aspects de la vie contemporaine. Elle s'insurge contre un decret la touchant, mais tolererait-elle de la part des locataires Ia moindre infraction a ses propres reglements ? Il est permis d'en douter, si l'on considere les progres d'une tendance qui pent se resumer ainsi : Pour soi des droits, pour les autres des devoirs. Cette tendance derive d'inquietudes qui poussent au premier plan la defense de droits acquis.

Ecoutons le marechal Petain. Son autorite est grande c t son prestige inconteste. Il peut souligner des verites qui seraient mal venues de la part de bien d'autres. S'adressant ces jours-ci aux anciens combattants, it disait : " Peut-etre vos preoccupations furent-elles trop unique.-nent tournees vers les soucis materiels. En agissant ainsi vous avez delaisse vos devoirs civiques ; vous avez laisse !'union se rompre. . . . Absorbes par les difficultes de Ia vie et par les coins materiels dont vous n'avez pas su vous degager, vous avez en partie abdique le role spirituel qui aurait du etre le votre."

II faut en convenir : Aujourd'hui nous sommes plus pones A exclure qu'a unir. Lorsque nous nous groupons, c'est generalement contre quelqu'un. Trop nombreux sont les politiciens qui aspirent au pouvoir surtout pour brinier l'adver- Faire ; trop nombreux sont les syndicalistes qui reclament le monopole du droit au travail. Quand les membres d'unc cor- poration s'associent c'est pour cxcommunier. Les boulangers, les coiffeurs voudraient etre juges du nombrc de boutiques qu'il serait permis d'ouvrir. On parle meme de creer une carte de jardinier-maraicher. II faudrait l'obtenir avant de pouvoir cultiver les carottes et les choux. Et la menagere qui s'adresserait ailleurs pour ses legumes se verrait infliger une amende. C'est a qui sera " chasse de la Republique avec defense de s'appeler Pedro."

Qu'y a-t-il a l'origine de tout cola ? Trop de reglementa- tion ? Pour conjurer des perils evidents, l'Etat s'efforce de diriger l'economie. Partant d'intentions excellentes et de theories parfois admirables, it se noie dans les details. Le pence est insensible, mais elle n'en est pas moins glissante. On commence par des donnees de principe ; on termine par une loi sign& par le president de la Republique, le ministre de la justice et le ministre du commerce, autorisant cc dernier a nommer tour les ans une cornmisson " d'apres les designa- tions qui seront faites par les organismes le plus represcntatifs des trois professions visees a Palinea precedent " pour decider de la somme que le client devra consigner pour les bouteilles contenant la biere et les boissons gazeuses ! Fort de cct exem- ple, le moindre groupement se met a legiferer pour son compte et toujours dans un sense limitatif.

Ne serait-ce pas pint& une deformation de cet individualisms dont tout Francais se targue ? Pousse a l'exces, individualisme pout devcnir egotisme, et it n'y a qu'un pas entre egotisme et egoisme. Si ce n'est qu'une question de nuance rien n'est perdu, car tout prouve que nous avons conserve le sense de la mesure ct que nous sommes toujours capables de raisonner. C'est affaire de premisses. Aux deux emrernites dc l'echelle socials le rnarechal ct la concierge nous invitcnt a ne pas perdre de vue certaines realites.