31 DECEMBER 1937, Page 14

LES SPORTS D'HIVER

[D'un correspondant parisien.]

POUR etre exact il faudrait ecrire au singulier : sport d'hiver. Certes, beaucoup de Francais patinent ; le bob, la luge, le curling meme, ont leurs adeptes. Mais le veritable sport d'hiver, populaire et popularise, c'est le ski. En raison de son aspect democratique il merite de figurer dans ces chroniques.

Jamais en France on n'avait vu tel engouement. Jamais un sport n'avait ete adopte si rapidement et avec tant d'entrain. Le ski est roi. Regardez les affiches, feuilletez les periodiques —partout des skis. Tailleurs et bottlers, confiseurs et par- fumeurs, filateurs et chapeliers, avec naturellement les agences de voyages et les reseaux de chemins de fer, tous ont recours a la neige pour leur publicite. Chaque grande gare a son exposition speciale ; Paris a meme un Salon du Ski qui rem- porte un vif succes pour sa deu.xieme armee. C'est par cen- taffies de mille qu'il faut compter les skieurs ; en trois ans un seul club parisien a vu quintupler le nombre de ses membres. Au moment on paraitront ces lignes les " trains de neige " du Nouvel An, par dizaines et tous bondes, partiront pour la montagne. Et beaucoup de gens resteront, faute de place.

Quelles sont les causes de cette vogue subite ? Aucune ne semble dominer ; il y a eu surtout un contours de circonstances. D'autre part, il serait ridicule de vouloir decouvrir le ski. Un vieux skieur du Jura assure qu'il debuta lui-meme en 1895. Il n'y a pas lieu de douter de la fidelite de sa memoire, mais il est certain qu'a cette époque ce n'etait pas un sport populaire, ni meme un sport francais. Les prouesses des bataillons de chasseurs alpins commencaient seulement d'interesser le grand public et tentaient quelques pionniers civils a s'aventurer en hiver vers les Alpes et les Pyrenees. On en emit encore aux raquettes pour marcher stir la neige et bien des gens s'imaginaient que Chamonix est en Suisse. II y a dix ans, cinq ans meme, les sports d'hiver n'etaient pas pour les bourses modestes ; les masses ignoraient le ski. Du reste, les fervents d'alors cherchaient leur plaisir surtout a l'etranger.

Puis un evenement considerable survint—la &convene de " la neige francaise." D'un coup tout changea. Ce furent precisement les bourses modestes qui firent cette &convene. Des jeunes gens s'aviserent qu'en dehors des Alpes et des Pyrenees, oft l'on avait construit quelques hotels luxueux, les Vosges, le Jura, l'Auvergne, la Provence, la Grande-Chartreuse pourraient egalement fournir des pistes de ski, proches d'auberges ou de fermes pour le logement. Les premieres experiences furent concluantes et le nombre des prospecteurs augmenta. Ii convient de noter en passant que la province y eut sa part, notamment les Lyonnais. Bientot jeunesse ouvriere se mit de la partie. C'etait precisement le moment of les compagnies de chemins de fer, rompant avec la routine, adoptaient certaines formules essayees en Angleterre avec plein succes—billets de fin de semaine, voyages combines, tarifs reduits pour parcours speciaux. En meme temps les grands magasins lancaient des costumes de ski bon marche. Du jour au lendemain les skieuses affiuerent.

Avec la semains des cinq jours la popularisation du ski est complete. C'est la ruse pour les " week-ends de neige." Aujourd'hui les trains de skieurs, meme en troisieme classe, comportent des wagons-dortoirs, des voitures munies de hamacs, car on part surtout de nuit pour gagner une journee. A certaines dates les reductions de tarif atteignent 6o pour cent, avec faculte de retour individuel. On pent, par exemple, aller en Auvergne et en revenir--environ 90o kilometres— pour cent francs settlement. De leur cote certaines maisons offrent pour 379 frs. l'equipement complet—skis et costume, sans oublier les socquettes. On voit done des automobiles garnies de porte-skis aussi bien que des skieurs, tout equipes, =versant Paris en Metro.

Comme sports populaires ii y avait bien le football et le velo. Mais il y a toujours plus de spectateurs que de jouers et la bicyclette, dans bien des cas, n'est qu'un moyen de locomotion. Tandis que le skieur le moins audacieux fait tout de meme du sport, loin des villes, loin de la politique. II change de milieu, entend des propos nouveaux, oublie les querelles de parti ou de classe. II faut s'en rejouir.