LA FEMME EN FRANCE
[D'un correspondant parisien]
" LA force et l'audace sont du cote de l'homme, la timidite et Ia pudeur du cote de la femme . . . L'obeissance de la femme est la contrepartie du devoir de protection du mart." Ainsi s'exprimait, it y a 13o ans, Jean-Etienne Portalis lors de la preparation du Code civil ; la commission de redaction lui avait confie le titre : Du Marine. Cette rhetorique correspon- dait bien aux vues de l'Empereur. Le code projete en 1793 aurait termin& la subordination de la femme mariee ; le Code Napoleon la frappait de nombreuses incapacites, heritages de la tradition romaine. Les formules de Portalis sont bien desuetes aujourd'hui ; les lois qu'elles inspirerent tendent a le devenir aussi.
C'est un peu l'avis du Parlement. Tout en refusant obstine- ment d'etablir le suffrage feminin, il vient de voter tine loi supprimant certaines incapacites de l'epouse. A l'examen toutefois les nouvelles conquetes paraissent plus symboliques que reelles. Le maire (rappelons qu'en France seul le manage civil est legal) ne dira plus a la femme qu'elle doit obeissance a son marl, mais it lui dira que " le marl est le chef de la famille." En bonne logique, s'il y a un chef c'est y a des subordonnes dont le devoir est d'obeir. Au cours des debats un interrupteur demandait : " Dans une societe de deux personnes pourquoi etablir un chef ? " Il lui fut repondu que l'homme doit rester chef de la famille "parce qu'il est designe ainsi dans plusieurs articles du Code dont nul ne reclame la modification."
En somme la femme mariee--se'on l'enumeration du rappor- teur devant le Senat—" pourra desormais, sans l'autorisation du marl, accomplir tous les actes de la vie civile : se presenter a un examen, obtenir un passeport, avoir un compte en banque, ester en justice, contracter, accepter une succession,- etre executeur testamentaire, etc." En revanche le marl continuera a fixer le residence du ménage et pourra faire opposition a l'exercice d'un commerce par sa femme. En outre la nouvelle loi autorise chacun des conjoints a s'adresser dans certains cas au tribunal civil, soit pour contraindre la femme a subir l'autorite du chef de famille, soit pour lui permettre de passer outre a son opposition. Heureusement qu'en France le nombre est tres grand des ménages de bonne entente. Les autres auront maintenant la faculte de laver leur linge sale a l'audience.
Puisque l'affranchissement de la femme francaise promet d'être oeuvre de longue haleine, il faut se contenter de la nou- velle loi telle qu'elle est. A part l'enseignement, les professions etaient encore fermees aux femmes il y a quarante ans. La magistrature, la diplomatie le sont toujours. Les anomalies ne manquent pas. C'est settlement en 1936 que les femmes furent admises a concourir pour le -diplome de veterinaire ; pourtant des doctoresses par centaines exercaient déjà la medecine. La chinoiserie administrative s'ajoute a l'obstacle legal. Quand Lili Boulenger, apres avoir remporte le Prix de Rome (musique), se preparait a rejoindre in Villa Medicis, on lui objects longtemps que le reglement ne prevoyait pas l'amenagement de locaux pour les pension- naires de son sexe.
En verite, hormis les suffragettes, la femme francaise reclame rarement. Elle ne s'attarde pas a analyser les testes. La loi a beau nommer son marl chef de la famille, elle sait qu'elle restera chef du ménage. Quand l'homme du peuple appelle sa femme " ma menagere " it lui reconnait des droits, y compris celui de tenir les cordons de la bourse. Dans be petit commerce et le moyen c'est generalement la patronne qui s'occupe des comptes ; elle trove a la caisse, d'oil elle accueille les chalands et morigene le personnel. Dans certaines regions, l'Est notamment, bien des enseignes portent le nom de la femme accole a celui du marl. C'est en France surtout que ren- contre la raison sociale : " Veuve X— ", ou bien : " Veuve Z— et ses fils." Dans les campagnes, par contre, l'homme fut longtemps " le maitre." La guerre vint clone une tradition qui déjà se perdait. Pendant quatre ans la
femme remplaca le cultivateur ce fut Ia fin du " maitre."
Somme toute, si la Francaise ne demande pas un pendant a la Declaration des Droits de l'Homme, c'est peut-etre parce qu'elle ne tient pas a Licher la proie pour l'ombre.