27 JANUARY 1939, Page 17

A LA RECHERCHE DE REMEDES

[D'un correspondent parisien]

Dhs la rentree du Parlement on reparlait de crise de regime. C'est devenu une habitude. A vrai dire, il s'agit surtout de discussions abstraites. On a beau trouver maint &Nut a la Republique parlementaire—celle qui etait " si belle sous l'Empire "—ce sont des remedes que l'on cherche plunk que de nouvelles formes de gouvernement. Le president du Senat, M. Jules Jeanneney, donnait le ton l'autre jour. II faudrait, disait-il, faire rendre a nos institutions tout ce qu'elles peuvent donner, avant de se lancer dans d'ambitieuses reformes de structure.

Parmi les remedes proposes, deux concernent le vote, celui des deputes aussi bien que celui des electeurs. On voudrait rendre le premier personnel et le second obligatoire. Voici l'argumentation : " S'il y a crise de regime c'est parce que le principe fondamental de la Republique se trouve fausse. De democratique il tend a devenir oligarchique. Nous voyons, de plus en plus, la minorite pretendre regenter la majorite." Et l'on donne ces exemples a l'appui : Il suffit d'environ neuf millions de suffrages pour elire une Chambre qu'on dira representer une population de quarante millions. Les suffrages non representes au Parlement depassent d'un million et demi ceux obtenus par les elus. Avec le vote par procu- ration, une poignee de deputes peut adopter des lois dont les consequences sont incalculables. Enfin, sur II,5oo,00o d'electeurs, 3,00p,000 s'abstiennent habituellement. Justement un depute vient de proposer ('obligation du vote personnel pour les representants du peuple. II faut recon- naitre, du reste, qu'a la Chambre le mode ordinaire de scrutin tourne parfois au grotesque. Devant des banquettes presque vides, quelqu'un se leve pour murmurer quelques phrases. Sur ce, le president annonce qu'il va y avoir scrutin. Des huissiers, porteurs d'urnes, circulent dans les travees. Cinq minutes plus tard, le president proclame le resultat : " La Chambre a adopte par 459 voix contre 117." Quel est ce mystere? C'est simple; les " boitiers " ont were. Chaque depute possede une boite contenant des bulletins

de vote imprimes a son nom. S'il s'absente, iI confie sa boite a un collegue qui votera pour lui. Certains deputes assidus aux seances se voient remettre plusieurs boites. Ce sont les " boitiers." Grace a eux, le nombre de votants reste toujours respectable, mane s'il n'y a que vingt personnes en séance. Certains " boitiers " sont devenus legendaires, tel feu Saumade, de la Dordogne, qui, a l'apogee de sa carriere, ne manipulait pas moins de 96 boites. Lisez bien : quatre-vingt-seize! Elles appartenaient a des collegues de divers partis, depuis l'entente republicaine jusqu'aux republicains socialistes. Ce brave homme disposait donc du sixierne des votes de l'assemblee. Il parait qu'il se conformait de son mieux aux directives des absents. N'empeche que le vote par procuration ne sert qu'a enregistrer des idees preconeues et qu'il rend futile tout debat. C'est la negation du parlementarisme.

L'electeur, lui, n'a pas de " boitier " pour le suppleer. Son vote reste personnel ; pour combattre l'abstention, certains voudraient le rendre obligatoire par surcroit. Il faudrait re- courir aux ,auctions. On propose l'amende et, pour la recidive, la privation de droits civils. Alors, pour rester dans la logique, it faudrait interdire les bulletins blancs. Cela pour- rait mener loin. Le civisme ne s'obtient pas par la contrainte. Quoi qu'il en soit, la reforme du scrutin est plus simple que

la reforme electorale, dont on reparle egalement. Cette ques- tion reste au point oil nous l'avions laissee dans de prece- dentes chroniques. L'accord serait relativement facile sur le principe, mais les modalites soulevent des controverses sans fin. Chaque parti s'inquiete des repercussions avant de se prononcer. C'est assez naturel, mais cela n'avance pas les chores.

De tels remedes seraient-ils propres a ranimer des institu- tions defaillantes? Il est permis d'en douter. Du reste, le diagnostic lui-meme est-il exact? " Crise de regime " est bientot dit. Avant de condamner la machine, il serait bon de s'assurer de la competence des mecaniciens. Ecoutons encore. M. Jeanneney : " Nos institutions n'ont pas epuise leur vertu. Elles la retrouveront si, principalement, l'effort de discipline indispensable est obtenu partout, si, chez tons, le sens de Miter& commun et l'esprit de subordination qu'il commande reprennent leur souverainete et, par-dessus tout, si l'obeissance aux lois redevient la regle inviolable."