28 FEBRUARY 1936, Page 16

Gendarmerie francatse

[D'un correspondant parisien]

A 1.1:POQUE oh Laurence Sterne publia son Voyage Sentimental (1768), les routes de France, si lion s'en rapporte aux notations humoristiques de recrivain anglais, etaient loin de presenter

la securite et le bon entretien qu'on y remarque de nos fours. La description que fait ce charmant contour, si narquois et

paradoxal, de son voyage de Calais a Paris, nous donne un apereu de l'aspeet peu engageant qu' offrait, alors. l'une des voies les plus frequentees de notre territoire. Le temps, -depuis, a fait son oeuvre. Reorganise par le decret de Napoleon, en date du 16 decembre 1811, etablissant 229 routes intperiales, notre reseau a pris peu a peu rune des premieres places en Europe. De l'avis maintes fois exprime

par les touristes etrangers, it procure, par la multiplieite des voies qui le composent, des accomnaodements inappre- ciables pour seceder aux sites les plus isoles et reputes presque inaccessibles.

Mais, toute medallic a, comme ehacun sait, son revers ; et In consequence nefaste de ce progres routier s'est revelee en un accroissement intensif des moyens de circulation des malfaiteurs. Munis de puissantes automobiles—d'autant plus rapides et perfeetionnees qu'elles sont, presque toujours, le produit d'un vol—, les bandits modemes se lancent par

molds et par vaux a des allures vertigineuses, bien faites, semble-t-il, pour defier les routines seculaires de notre mareehaus.see. Que n'a-t-on dit, en effet, chez nous ; que n'a-t-on emit et, surtout, chansonne, sur les braves gendarmes; tutelaires gardiens de rordre et de Ia propriete," et qui, comme les celebres carabiniers d'Offcnbach, " arrivaient

toujours trap tard " ?

Le souci de rimpartialite oblige a eonstater que ces plaisan- teries, d'ailleurs faeiles, out aujourd'hui fait leur temps.

L'actualite trap trepidante a entraine la mart de notre vieille gendarmerie nationale et a, par suite, suseite In naissance d'un organisme de remplacement cons-titue sur des bases totalement nouvelles.

Les ands du pittoresque regretteront sans doute la dispari- tion du legendaire Pandore, ce vaillant et naif defenseur du bien social, immortalise par les couplets pleins de bonhomie, mais aussi d'ironie gouailleuse, que composa, i1 y a one soixantaine d'annees, le fantaisistc Gustave Nadaud, sous le titre " Les Deux Gendarmes " :

Deux gendarmes, un beau dimatiche, Chevauchaient to long d'un-sentior L'un portait la sardine blanche, L'autre, le jaune baudrier . . .

A chacune des considerations atmospheriques ou des sentences pretentieusement philosophiques emises par le superieur, le

subalterne repondait par le faaneux refrain, maintenant devenu proverbe " Brigadier, vous avoz raison ? "

En ce temps-la, Pandore etait affable d'une tenue un tant Met de.suete et quelque peu theatrale. L'imposant bicorne, le " jaune baudrier," le culotte de peatt et le, buttes- a recuyere formaient un attirail pen propre a faciliter la poursuite des malandrins a travers plaines et facets. Ces accessoires sont, a present, remises ; its out pris rang penal les collections du Musee del'Armee.

Pour assurer le respect, par les usagers, des reglements figurant an code de In route ; pour hitter contre raudace sans cesse grandissante des escrocs de tout acabit, que Ie progres scieutifique favorise dans leurs expeditions, le besoin d'une organisation nouvelle et plus modern s'imposait.

Presses par ces raisons impericuses, les pouvoirs publici out done vote d'urgence les credits necessaires pour doter la gendarmerie d'autos, de camionnettes, de motos, de skis et, merne, d'avions—A l'heure aetuelle, en effet, In gendarmerie pos.sede déjà ses eleves pitotes aviateurs, dont rinstruetion est fort avancee.

Le resultat en est line transformation complete des moyens, des methodes et de la silhouette—type du gendarme fmncais. Le Pandore caricature' de jadis a fait place a un jeune hems casque, a la ligne mince, aux membres &couples, elegant, sportif et d'une audace quasi romanesque. Tous eeux qui, chez nous, admiraient depuis longtemps la nettete, la distinc- tion, la prestance et ractivite des policemen anglais ne pourront que se rejouir de voir ainsi se rapprocher du mod ele britannique

la gendarme franeais de 1936. R. L. V.