6 DECEMBER 1935, Page 15

A Saint-Lazare ! • • •

[D'un correspondant parisien] " A SAINT-LAZARE . . . " Qui n'a entendu, sur un ton lugubre, fredonner ce triste refrain d'une complainte realiste, laquelle fut jadis celebre dans la France entiere ? La void, semble-t-il; destinee ii connaitre de nouveau la popularite, en raison des transformations entreprises actuellement dans la sinistre maison, de tenebreuse memoire. Et c'est ('image saisissante d'un Paris malefique et tourmente que fait revivre aussitet revocation, tant de fois maudite, de l'infernale vie . . . ii Saint-Lazare 1 If n'est pas de touriste visitant notre capitale qui n'ait, en se rendant de la Place de In Republique it In gare du Nord, remarque, h l'intersection du Boulevard Magenta et de la Rue du Faubourg Saint-Denis, ce batiment noir et lezarde, dont rentree monumentale retient ('attention la plus distraite.

Les moms avertis se renseignent sur ridentite de cette sombre denteure. " C'est la Prison Saint-Lazare," leur est-il repondu.

Et, aussitet, de surgir l'obseclante vision des mille miseres, des mille souffrances dont ces lieux furent, depuis plus de huit siecles, les temoins silencieux.

. En l'an 1110, l'endroit se trouvait situe en dehors de l'enceinte de Paris. La femme du roi Louis VI, Alix de Savoie, le cl.olsit pour redification d'une leproserie. Cinq cents ans plus tard, en 1632, Saint Vincent de Paul, run des phis illustres hems de la charite ehretienne, le fondateur de la communaute des sceurs vouees au service des malades pauvres, le createur de Vinstitution des Enfants Trouves, y installait les Lazaristes, ou Pretres de la Mission. Vera 1770, retablissement etait transforms en maison de correction pour les hommes on y enfermait aussi les alien& ; on y detenait sur lettres de cachet les Ells de famille dissipateurs ; on y cadenassait meme les pamphletaires ; c'est ainsi, qu'en 1785, Beaumarchais, l'auteur du Barbier de Seville et du Mariage de Figaro, dal faire, en ce sinistre asile, tine retraite forcee. Le 18 Juillet, 1789, aux heures troubles de la tourmente revolutionnaire, les batiments furent pilles et en partie incendies. Convertis en prison d'Etat, en 1793, ils virent s'entasser dans leurs geeles pips de douze cents personnes ; au nombre de ces infortunes se trouvaient deux pontes : Jean Antoine Roueher et Andre Chenier, qui furent livres it la guillotine be mbme jour, le 7 thermidor, 1794. On a souvent conte que Andre Chenier diet, pour repondre u l'appel le designant pour le supreme sacri- fice, interrompre les stances qu'il etait, en ce moment-1h, en train de composer. Voici les dernieres lignes tracees par sa plume:

" Avant quo, de sea deux moitiCs,

Ce vers que je, commence ait atteint in derider°, Peut-titre, en ces inure effrayes,

Lo messager do mort, noir reoruteur des ombres, Eseort6 d'infames soldats, Remplira de mon nom ces longs corridors sombres."

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Comment ne pas etre emu en revivant les derniers instants de ce jeune homnie de trente-deux ans, assez maitre do soi pour fixer d'une 'main sore, en face de la mort, sex ultiines pewees ? Son souvenir plane toujours au-desaus des mum qui abriterent une fin aussi heroique.

De nouveaux massacres devaient encore ensanglanter ces licux predestines, pourrait-on croire, it demcurer, ii travers les siecles, le theatre de tortures de toutes sortes. En 1871 notamment, les' Federes et les Versaillais S'y livrbrent des combats particulierement atroces.

Depuis cette epoque, 1' ere sanglante s'est apaisee, sans quo be renom de retablissement y nit gagne en prestige. 11 est, en effet, devenu une prison reservee aux fentines coupables. , Scion un Plan d'prbanistne intelligemment mticti, la gehenne actuelle, privet du contort be plus elementaire, inanquant de raeration ct de reclairage indispensables, fern proehainement place it des batiments modernes, qui coinPiend- rout vastes dortoirs, lavabos individuels, cabinets de consulta- tion dispOsant de tons les apparels perfectionnes de sterilisation et &analyse, banis ct douches,, ateliers, refectoires, Cuisines, cantines, lavoirs, be tout dote.ii profusion d'air et de lurniere. La noire prison va devenir un preventorimn populaire. Cette wavre, dune importtince soeittle de premier plan, sent realistic dans un avenir immediat, puisqu'on envisage in fin des travaux pour le mois de mars proehain. Ajoutons que, pour effacer le souvenir du Fele coercitif des. batiments anciens, on donnera iti la nouvelle construction le nom de " Masson Saint-Lazare."

R. L. V.