23 OCTOBER 1936, Page 16

" V-iens Avec Nous, Petit 1"

[D'un correspondant parisien] LA session du baccalaureat est close ; une nouvelle armee schoLsire vient de commencer. C'est repoque oh ravenir des enfants revient souvent dans les conversations familiales. Que fait-on pour la jeunesse ? Quel avenir s'ouvre devant elle ? Que deviendront nos fils et nos fines? En cette periode de crise les reponses ne sont guere rassurantes. Les professions sont encombrees. Le chomage atteint thus les métiers ; les gazettes parlent mane de " chOmeurs intellec- tuels." Dans quelle direction peut-on orienter an enfant ?

En dehors des families on s'inquiete aussi de l'avenir des jeunes. A en juger par les articles et les discours, les aines s'occupent beaucoup de leurs cadets. Void i un senateur qui termine un morceau de rhetorique par une invocation a la jeunesse, une phrase interminable ponctuee de points d'exclamation. "0 jeunesse, s'ecrie-t-il, tu es In pionniere d'une republique planetaire." Ce vieillard vient de Sirius sans doute. En fait de pionniers In jeunesse connait surtout Lacoste, Ladoumegue et Detroyat. Voici encore un depute qui Cent un tract : " Jeunesse, quelle France veux-tu ? " Apres avoir pose la question, il s'empresse lui-meme de foumir la reponse. La jeunesse pourrait recuser comme interprets un homme politique qui ne fait que defendre une these. Mais voici aussi un ministre plein de candeur. n avoue sans ambages " la necessite de conquerir la jeunesse, devenue partout la clef des positions gouvernementales."

Viola le mot la'che. Ce ministre et bien d'autres ne con- siderent la jeunesse que comme pion sur le damier politique. D'aucuns vous diront que c'est precisement la politique qui tuera la France. Ii est a souluiiter que leur parole depasse leur pensee. Ii n'en est pas moms vrai que la politique sevit partout, sans excepter in jeune generation. Des marmots levent le poing comme leurs peres et psalmodient l'Inter- nationale. Tous les partis recrutent des " Jeunesses " et les exhortent au combat. Jusqu'aux eclaireurs qui se subdivisent en groupes confessionaux ; et chaeun sait qu'en France religion et politique semblent inseparables. Sans doute dans ces " Jeunesses " tons ne prennent pas in chose

au serieux. Ils y voient surtout pretextes a fetes champetres et reunions sportives. Ne:anmoins beaucoup de jeunes doctrinaires crient l'organe de leur parti sur la voie publinue, echangent des horions avec les vendeurs adverses, et se font gloire de quelques heures passees au poste de police en attendant l'intervention paternelle. Quand par surcroit Bs peuvent exhiber plaies ou bosses la mesure de leur gloire est comble.

Que des adolescents jettent leur gourme de cettc facon ou d'une autre ne tirerait pas a consequence si leur esprit n'etait pas trop aisement &forme par rambiance. Trop jeunes pour avoir acquis le doute philosophique, us s'imaginent, qu'il suffit de perorer en reunion publique pour devenir homme d'etat, que les adversaires se recrutent uniquement parmi les vendus et les ignares, et que rinteret du parti prime tout autre. Chose plus grave encore, ils apprennent trop tot dans la vie que les relations politiques peuvent servir, une carriere et que la protection d'un ministre peat aider surmonter bien des obstacles. Ils se rendent compte egalement que In politique mene a tout. . . sans avoir a en sortir. Ils

constatent, par exemple, que certains plaideurs s'adressent de preference aux avoeats qui sont en meme temps parle- mentaires, et que, quelque soit le gotivernement au pouvoir, un fonctionnaire pent delaisser son service impunement pour servir des interets politiques.

Sous ces influences l'enfant sera en danger de devenir client, au semis romain du mot. Pour obvier a la depopulation on pane beaucoup de faire de la France une "nation de cadres," une " pepiniere d'elites." Pour cela II importe de developper resprit d'initiative, le sens des responsabilites et ces autres qualites dont la sonune constitue rinctividualite. C'est tout le contraire des protections et des relations.

Le sport, hetifeusement, tend maintenant a preoccuper In jeunesse au detriment de la politique. L'individu y gagnera et la collectivite aussi. Bien des parents diront : Puisque nos Ks veulent absolument acelamer quelqu'un, autant im champion qu'un tribun. Et s'il leur faut faire le coup de poing, que cc soit la boxe Orton que In bagarre. Surtout gulls deviennent hommes en meme temps qu'electeurs.